Le courant Space Age ne vous dit peut-être rien, mais je suis certaine que des pièces iconiques comme la chaise Panton vous sont familières. Né dans les années 60, en plein boom économique californien, il reflète l’enthousiasme pour la conquête spatiale et l’imagerie nucléaire. Il est une réponse ludique à la peur d’une guerre atomique. Explosion des couleurs, formes futuristes et motifs psychédéliques, ce mouvement design s’est rapidement imposé, avant de disparaître aussi vite qu’il était apparu. Aujourd’hui, ce style rétro futuriste revient en force. Pourquoi un tel renouveau ? Et surtout, comment l’adopter sans tomber dans le kitsch ? Décryptage.
Les objets et même les intérieurs du mouvement Space Age sont immédiatement reconnaissables par leurs formes organiques et futuristes, qui évoquent la science-fiction, les vaisseaux spatiaux et les stations orbitales. Le mobilier de cette époque est arrondi, dans des couleurs vives et contrastés : orange, rouge, blanc, jaune, souvent combinées avec du noir ou du chrome.
L’aménagement intérieur se tourne vers des matériaux innovants comme le plastique moulé, la fibre de verre, le métal chromé, le plexiglas, souvent utilisé pour créer des meubles monoblocs.
Et surtout Space Age est absolument lié à l’esthétique Pop !
Autres inspirations
⌈ Photo en une : Une chambre inspirée par le design et l’époque Spage Age ⌋
01 | Une parenthèse de l’Âge Atomique
02 | Space Age, un courant Pop
03 | Le boom de la société de consommation
04 | Naissance de designers devenus cultes
05 | Que reste-t-il aujourd’hui du Space Age ?
_Des objets très prisés des collectionneurs
_Une nouvelle génération de créateurs
→ Les cinq principes à suivre pour adopter le Space Age sans tomber dans le kitsch
Architecte : Commune Design – Projet : Conversion d’un bâtiment des années 60 en hôtel à Durham, Caroline du Nord via dezeen.com – Photo : Spencer Lowell
Une parenthèse de l’Âge Atomique
Space Age reprend les codes du design des années 50 marqués par ce que l’on a appelé l’Âge Atomique (ou Atomic Age en anglais). Il en est une prolongation et une parenthèse.
Le mouvement Âge Atomique tire son nom du motif simplifié de l’atome, représenté par un cercle traversé de lignes. Inspirés par la science et les nouvelles technologies, les imprimés, les meubles et les objets de décoration ont envahi les foyers et la culture populaire, adoptant des formes ludiques et dynamiques. C’est dans ce contexte qu’émerge l’architecture Googie, influencée par les codes de l’industrie aéronautique.
Space Age délaisse l’imaginaire du nucléaire au profit de celui de l’exploration spatiale.
Il débute au milieu des années 60 et s’achève à l’orée des années 70. Bien que ce courant soit éphémère, il va conquérir toutes les sphères de la création : de la mode à l’architecture, en passant par l’art et il va marquer durablement l’univers du design jusqu’à nos jours, puisque nous y revenons.
La maison Bulles de l’architecte Dorothée Meilichzon – Photo : Karel Balas
Interior Architecture + Design : Dorothee Meilichzon – Projet : Aéroport Roissy Charles de Gaulle, Terminal 2G – Photo : Karel Balas
Space Age, un courant Pop
Le mouvement Space Age n’est pas tombé sur la Lune, mais il est clair qu’il est inspiré par la conquête spatiale et de la science des laboratoires.
Pour bien comprendre le courant design Space Age, il faut se replacer dans le contexte historique d’une Amérique, secouée par des mouvements protestataires, des tensions internationales dues à la guerre froide, en même temps que s’installent un boom économique et des avancées scientifiques majeures.
Il voit le jour sur la côte californienne comme une réponse à la menace d’une guerre nucléaire et une volonté des créateurs de s’en affranchir en réinventant un futur optimiste. Ils insufflent ainsi à leurs créations une dose d’humour et de légèreté Pop.
Ce mouvement est aussi considéré comme un pied nez à la société patriarcale, car il remet en cause les valeurs traditionnelles. Il révise notre manière d’aborder l’agencement intérieur avec des murs arrondis organiques. Il revoit notre façon de nous mouvoir dans les espaces, de nous asseoir, de nous allonger…
Architecte : MLKK Studio – Projet : Aesop Houston Galleria, inspiré par une histoire d’industrie et d’exploration
La boutique éphémère futuriste, imaginée par le designer Harry Nuriev
La boutique éphémère futuriste, imaginée par le designer Harry Nuriev pour le flagship parisien d’Augustinus Bader – Photo : Benoit Florencon
Architecture et intérieur design : OMA and Unispace – Photo : Bea De Giacomo et DA : Sophie Pinet – Projet : Les bureaux de Jacquemus à Paris
Réalisation : Tableau – Projet : Conception spatiale éphémère, Post Service, 2021 – Photo : Michael Rygaard
Design : Louis Liou Interior Design – Projet : Apple Garden No. – Photo : Wang Ting
Le boom de la société de consommation
Au cours des années 50/60, l’industrie cherche à produire en masse, plus rapidement et à faible coût, pour une population qui veut consommer. Elle s’appuie pour cela sur les avancées technologiques, et notamment la mise au point de nouveaux matériaux comme le contre-plaqué, la fibre de verre, le verre flotté, l’acier inoxydable ou encore le plastique. La production allie désormais technologie et design.
Le monde du design se plastifie ! Il devient plus léger. La malléabilité des nouveaux matériaux permet la naissance d’un langage plus visuel aux lignes courbes, incurvées, en rupture avec tout ce qui faisait précédemment.
Puisant sans réserve dans l’imagerie de la conquête spatiale qu’elle soit réelle ou fantasmée, les créateurs imaginent des objets et des espaces intérieurs aux formes géométriques ou arrondies rappelant des ovnis ou des salles de contrôle.
Les designers s’inspirent aussi des formes organiques abstraites de la nature : les grottes, les habitats animaliers, les végétaux, comme des entités réconfortantes face à cette science galopante et destructive.
L’appartement de Stefanie Giesinger à Berlin via ad-magazin.de – Photo : Volker Conradus
Catalogue Vitra pour la chaise Panton de Verner Panton, imaginée en 1959
Intérieur design : Alessandro Venneri – Petit appartement à Barcelone – Photo : Elton Rocha
Naissance de designers devenus cultes
Cette période optimiste et anxiogène à la fois a ouvert la voie à de nouveaux designers qui voient dans la banalisation des nouveaux matériaux un vaste terrain de jeu où tout est permis.
Des designers emblématiques ont marqué ce courant avec des pièces devenues iconiques : Eero Aarnio et sa Ball Chair (1963), Verner Panton et donc, sa fameuse Panton Chair (1967), ou encore Joe Colombo avec l’Elda Chair (1963). Olivier Mourgue a laissé son empreinte avec le fauteuil Djinn (1965), immortalisé dans 2001, l’Odyssée de l’espace, tandis que Pierre Paulin a créé des sièges sculpturaux comme la Ribbon Chair (1966).
Ces objets futuristes, aux lignes fluides et organiques, ont durablement influencé le design. Nous les retrouvons dans tellement d’intérieurs qu’ils sont devenus des objets familiers.
Bizarrement, leur forme arrondie et surprenante se glisse dans tout type d’intérieur.
Exposition d’Axel Chay à la galerie Arcik, Paris en 2022
Que reste-t-il aujourd’hui du Space Age ?
Si les objets et autres meubles cultes n’ont jamais cessé d’être intégrés dans les intérieurs depuis les années 60, l’esprit futuriste qui les accompagnait, les a quittés.
_Des objets très prisés des collectionneurs
La chasse aux pièces emblématiques perdure dans les brocantes et chez les antiquaires. Les objets d’origine et collectors s’arrachent à des prix fous, tandis que d’autres, aiment collectionner tous ses trucs en plastique produits en masse par des distributeurs comme Prisunic.
Intérieur design : Uchronia – Projet : Café Unagi, Paris 16
_Une nouvelle génération de créateurs
Depuis quelque temps, une nouvelle génération de jeunes créateurs et des marques ont remis au goût du jour l’esprit futuriste Pop. Il ne s’agit pas que d’une tendance passagère, car elle a l’air de s’installer durablement.
Il semblerait que les créateurs y voient une source d’inspiration excitante et permissive. Ils reprennent les codes du courant Space Age pour mieux le réinventer. Axel Chay est une figure marquante de cette renaissance. Ses créations pour Monoprix se sont arrachées en quelques jours.
Personnellement, j’adore les meubles Space de la marque de design HKliving dont je vous parlais dans cet article : Les propositions rétro chic de HKliving.
Dans cette liste, nous pouvons également citer le studio Uchronia qui tant dans son édition de mobilier que dans ses agencements d’intérieurs a des références directes à ce courant, mais aussi les lampes de Julie Lansom STRAW, les cabinets de la marque Trone, les fauteuils d’Uma Objects.
En réalité, Space Age est partout.
Design intérieur : Red5studio – Projet : Appartement Space Age – Photo : Dosy
Intérieur design : Uchronia – Projet : Cafe Nuances, Paris 8
Casa Axis,la maison galerie de l’artiste Felipe Pantone à L’ELiana, en Espagne via revistaad.es – Photo : Nacho Errando et Carmen Errando
Design intérieur : Studio Bloma – Projet : Café comptoir Caillou, Lyon 5 – Photo : Yvan Moreau, Jil Salinger
Design intérieur : Red5studio – Projet : Appartement Space Age – Photo : Dosy
Design intérieur : Arent & Pike – Projet : Hearth House, Sydney – Photo : Prue Ruscoe
Maison de Jason et Jenny Rose MacLean à Londres, extrait du livre The Life Eclectic d’Alexander Breeze – Photo : Edmund Sumner
JULIE LANSON – Lampe Straw qui existe aussi en lampadaire
Les cinq principes à suivre pour adopter le Space Age sans tomber dans le kitsch
1- Tu n’en feras pas trop, à moins de restaurer comme l’architecte Dorothée Meilichzon une maison Bulle ou d’habiter la maison de Pierre Cardin sur la côte d’Azur. Il n’est pas question d’être rétro.
2 – Tu n’assortiras pas tout. Au contraire. Tout l’art de mettre en scène des pièces vintage est de mélanger des époques et les genres. Cela reste un jeu d’équilibriste. Si tu ne le sens pas, utilise des objets comme on utilise une couleur accent dans un décor, par touche.
3 – Tu créeras du contraste. L’idée est de jouer sur l’effet de surprise. Un objet Space Age intégré dans un intérieur sage et classique attire immédiatement l’attention. Par sa forme audacieuse, il crée un point focal intrigant, et cet effet sera renforcé s’il présente une couleur Pop comme un orange !
4 – Tu le marieras avec des matériaux naturels, du papier peint à motifs, mais pas d’époque. Space Age a produit des objets amusants. Il faut donc s’amuser. Osez un papier peint à fleurs. Télescopez plastique et fibres naturelles ! Amusez-vous ! Soyez turbulents !
5 – Tu te tourneras vers le nouveau design Space Age. Les nouvelles propositions sont intéressantes, car elles sont des pièces contemporaines avec des intentions futuristes, tout en ayant un regard tourné 50 ans en arrière. Il peut aussi s’agir d’injecter de l’organique dans nos agencements intérieurs, plutôt que des lignes droites.
La maison de Valentine à Lille via insidecloset.com
L’appartement de Vera van Erp à Amsterdam via revistaad.es – Photo : Westwing
Design intérieur : Giampero Tagliaferri – Projet : Duplex à Milan via revistaad.es – Photo : Simona Sbordone
Design intérieur : Pauline Borgia – Projet : Appartement boulevard Saint Martin, Paris – Photo : Oracle
Alors, faut-il adopter ou pas Space Age à la maison ? Je parle des objets, bien entendus, pas question d’embarquer dans un vaisseau spatial en route pour Mars.
Tout cela dépend de vous et de votre génération. Space Age parle aux nouvelles générations en recherche d’amusant et de réassurance dans un monde, finalement toujours anxiogène.
Personnellement, cela me rappelle mon enfance, Prisunic, le tabouret Tam Tam sur lequel je roulais et qui se détachait en deux parties, mais pas de fauteuil Pierre Paulin à la maison.
Et vous quel est votre rapport avec ce courant ?
Sur Pinterest – Space Age, la tendance rétro futuriste
missS
17 février
Merci pour ce reportage. Effectivement quelques objets sufises. De plus c’est une déco plutôt de connaisseurs. Belle journée