Il est un style que tout le monde connaît, sans le connaître : le style shaker. Enfin, quand je dis que tout le monde le connaît sans trop le connaître, je parle de nous, parce qu’aux États-Unis où il s’est épanoui, il est la base d’une certaine vision quotidienne du design et de l’aménagement. En Grande Bretagne, il est aussi très prégnant, et vous comprendrez pourquoi en lisant cet article. Nous, nous arrêtons en général aux cuisines. En effet, beaucoup de cuisinistes ont leurs modèles Shaker. Aujourd’hui, en parallèle de l’exposition « The Shakers : A world in the Making« , au Vitra Design Museum, je vous propose d’explorer le style shaker et de voir comme ce design puritain a conquis nos intérieurs, et influence encore le design contemporain.
Pour comprendre l’influence de ce style, il faut remonter aux Quakers, fondés par George Fox (1624-1691) en Angleterre, en 1652, une branche du protestantisme, dont est issue Ann Lee qui fonda la communauté des Shakers. Voici, le lien avec l’Angleterre et pourquoi le style Quakers ou Shakers est encore bien présent aujourd’hui. Elle émigre en 1774 aux États-Unis avec ses partisans, qui prospèrent du Kentucky au Maine.
Autres inspirations
01 | Comment ce groupuscule religieux a-t-il pu inspirer des générations de designers et d’architectes ?
02 | La philosophie shaker<
03 | Les règles de l’objet shaker
04 | Une leçon de design avant l’heure
05 | Une influence indéniable sur le design, encore aujourd’hui
06 | Pourquoi pourriez-vous être intéressés par le style shaker au-delà de la cuisine ?
07 | Comment adopter le style shaker aujourd’hui ?
En 1 : Le bois, et tous les matériaux naturels et durables
En 2 : Économie des formes et absence d’ornementation
En 3 : Palette de couleurs réduites et sobres
En 4 : L’usage avant tout
En 5 : Un intérieur organisé et ordonné
En 6 : Le fait main et l’artisanat
En 7 : La lumière naturelle
En 8 : Des espaces vides qui respirent

Ci-dessus et image en une – Design intérieur : Mother studio, Asheville – Projet : The Cove House – Photo : Emily Johnston
Mais comment ce groupuscule religieux a-t-il pu inspirer des générations de designers et d’architectes ?
Comme souvent, pour qu’un style passe le temps, il faut que style et philosophie de vie ne fassent qu’un pour former une vision globale et cohérente, mais il faut en plus qu’il soit facile à aborder et à absorber, et reproductible. C’est le cas des Shakers.

Meetinghouse (1793), Hancock Shaker – Village, Hancock, MA, 2024 – Photo: © Vitra Design Museum / Alex Lesage, courtesy Hancock Shaker Village

Intérieur de la maison d’habitation en brique, Hancock Shaker Village, Hancock, MA 2024 – Photo: © Vitra Design Museum / Alex Lesage, courtesy Hancock Shaker Village
La philosophie shaker
Les Shakers prônent une vie communautaire et égalitaire, où chacun partage bien et gains. Ils célèbrent des valeurs de simplicité et de modestie, et surtout louent le travail bien fait qui rythme la vie, des tâches ménagères au travail des champs. Notons que le rigorisme de cette communauté, imposant célibat et chasteté leur a valu d’être classés comme secte et a contribué à les faire disparaître.
Cependant, ce qui nous intéresse surtout ici, est que cette approche a abouti à la création de meubles, d’objets domestiques, d’aménagement intérieur et de bâtiments au style monacal qui reflètent leur organisation et mode de vie.
Vivant en autarcie, ils se servent des matériaux qui les entourent et cela influe sur leurs productions. Ce sont ainsi des objets et des meubles fabriqués à la main, essentiellement en bois, ayant une esthétique issue du monde paysan du XVIIIe siècle qui a toutefois évolué au fil du temps.

Banc de la maison de réunion, Canterbury ou Enfield, New Hampshire, 1855 – Photo Vitra Design Museum / Alex Lesage, courtesy Hancock Shaker Village

Sister Sarah Collins weaving a chair seat in her workroom, c. 1935-36 – Collection of Hancock Shaker Village, photo: Noel Vincentini

Oval box on a workbench, New Lebanon, NY, 2024 – Photo: © Vitra Design Museum / Alex Lesage, courtesy Shaker Museum, Chatham, New York
The Shakers : A World in the Making
Du 7 juin 2025 au 28 septembre 2025 au Vitra Design Museum, Weil am Rhein
Les règles de l’objet shaker
C’est une vue de l’esprit que de tenter de codifier l’artisanat shaker, puisque les Shakers n’avaient aucune notion du style, donc ne répondait à aucune règle esthétique.
_Une esthétique épurée de fait
Les artisans shakers fabriquaient des choses uniquement pour leur utilité, ne recherchant aucun effet visuel. Ainsi, les objets sont fabriqués avec des matériaux modestes, à porter de main et des formes simples. Chaque objet est pensé également pour durer dans son utilisation. Au fil du temps, ils revêtent une belle patine, d’autant plus qu’ils sont utilisés avec soin.
_L’ordre
La communauté shaker est régie par des lois qui structurent et codifient l’organisation. Hiérarchie et souci de l’ordre sous-tendent ce mouvement religieux. Le désordre y est donc banni, c’est pourquoi les systèmes de rangement sont omniprésents. Cela a abouti à une optimisation de l’espace domestique avec des meubles tiroirs et les fameux Peg Rails, ces patères murales faites pour accrocher toutes sortes d’objets, placés autour d’une pièce.
_Le travail
Chez les Shakers, l’idée de repos n’existe pas. Le travail rythme les journées. Ainsi, les objets ne sont pas pensés pour l’oisiveté. Beaucoup de designers se sont inspirés de certains meubles, et les ont rendus confortables, mais chez les Shakers, le confort n’avait pas d’importance. Les bancs étaient bas sans dossier pour les ranger sous la table et surtout pour se tenir bien droit. Si nous pensons au rocking-chair, un de leur meuble les plus célèbre, à la base il était sans accoudoirs pour que les femmes puissent effectuer des travaux d’aiguille sans être gênées.
_Le souci du travail bien fait
Non seulement, les Shakers ne laissaient pas de place à l’oisiveté, mais chaque tâche était réalisée avec soin. Cela donne lieu à des objets aux finitions parfaites, solides et soignées.
_La légèreté
Les chaises étaient conçues avec des montants minces et pas un dossier plein, car elles se devaient d’être légères pour pouvoir les suspendre, les déplacer facilement. Les lits pouvaient avoir des roulettes pour être déplacés. Ils ont aussi inventé des tables pliantes, imaginé des étagères ouvertes ou encore réalisé des coffres multifonctions.

Illustrations de Josh Metersky de toutes les pièces de l’exposition Furnishing Utopia

Tabouret tissé par Ladies & Gentlemen Studio

Knob toolbox, réalisé par Hallgeir Homstveld design
Exposition : Furnishing Utopia, initiée par le duo de designers Studio Gorm de Portland. Photo : Charlie Schuck.
Cette exposition itinérante réunissait les œuvres de 12 studios de design internationaux, issues d’un atelier au Hancock Shaker Village, où les designers ont exploré l’esthétique, l’artisanat et les valeurs Shaker, les pièces s’inspirent de leur minimalisme, de leur pureté, de leur réflexion et de leur intégrité.
Une leçon de design avant l’heure
Le dépouillement apparent de leurs objets cache ainsi une intelligence formelle rare. Le mobilier shaker qui semble très simpliste au premier abord présente dans ses proportions et d’une efficacité structurelle remarquable.
Ce qui frappe et continue de fasciner dans leurs créations, c’est donc la simplicité radicale de leurs objets. Aucune ornementation. Uniquement de la fonctionnalité. De plus, ils innovent la standardisation et de la production en série pour les vendre au bénéfice du groupe.
N’est-ce pas le propre du design moderne ?

Galerie Mjölk, Toronto – Exposition Shaker dans le cadre du festival Toronto Design Offsite, février 2017

Exposition Furnishing Utopia au village shaker d’Hancock – Photo : Charlie Schuck.

Tabouret de bibliothèque 42 au Salon 94 Design, 2022. Photo : William Jess Laird © Donald Judd Furniture via @juddfoundation

Architecte : Ste Marie – Projet : Flourist Bakery, Vancouver, British Columbia, Canada – Photo : Conrad Brown et stylisme : Kate Richard

Cuisine Signal, modèle Square Lakriz – Photo : Pia Ulin

Hôtel Le Barn, Rambouillet – Voir ou revoir : Le Barn hôtel à Rambouillet, esprit campagne brocante
Une influence indéniable sur le design, encore aujourd’hui
Le style shaker est rarement cité frontalement, mais son influence est palpable dans de nombreux courants du design actuel. Il a marqué la naissance du design moderniste, comme le Bauhaus et les conceptions minimalistes de Georges Nashima à Donald Jugg. Les designers scandinaves du milieu de siècle s’en sont également largement inspirés. Aujourd’hui, il serait impossible de citer tous les créateurs qui se réclament de ce style. Ils seraient trop nombreux.
Certaines marques en revendiquent l’héritage plus directement :
– Another Country, Pinch studio, Ercoll, au Royaume-Uni, dont les collections en bois clair revendiquent une simplicité “moderne-rurale”.
– Fogia, Muuto ou Menu, qui mêlent utilité et chaleur, dans une veine très proche.
– Même certaines pièces du catalogue IKEA,les plus durables, en portent la trace.

Architecte : Richard Lewis – Projet : The Commerce Inn, Greenwich Village block, New York – Photo : Matthew Williams pour remodelista.com
Papier peint inspiré des Shakers de Fayce Textiles
Pourquoi pourriez-vous être intéressés par le style shaker au-delà de la cuisine ?
Je pense que le regain d’intérêt depuis une bonne dizaine d’années, est une réponse contemporaine à l’overdose visuelle de notre monde contemporain. La slow decoration, comme le mouvement Kinfolk, le style néo-rustique, la décoration scandinave minimaliste, en sont le reflet.
Dans l’esthétique shaker, rien n’est là pour séduire le regard au premier coup d’œil. Et c’est justement ce qui séduit aujourd’hui.
L’héritage shaker apparaît donc comme un refuge. Acheter moins mais mieux, préférer la cohérence à la démonstration, rechercher la paix visuelle sans renoncer à l’élégance : voilà une forme de luxe contemporain que ce courant incarne avec force.

Balm Beach Retreat, la maison des propriétaires de la galerie Mjölk, depuis vendue – Voir ou revoir : Une maison au bord du lac à l’esprit scandinave désuet
Architecte : JAM, Brooklyn, NY – Projet : Bucks County farmhouse, Pennsylvanie – Photo : Gieves Anderson

Réalisation : Festen architecture – Projet : Carte blanche AD magazine, 2019 – Photo : François Coquerel

Canterbury Shaker Village – Photo : Erin Little pour Remodelista

FRAMA-conceptual-store-in-Copenhagen
Le bois, et tous les matériaux naturels et durables
Le bois est le matériau privilégié du style shaker. Il est au centre de ce mode de vie. Cependant dans leur palette de matériaux, on retrouve également les fibres naturelles végétales et animales, la poterie, les textiles, la pierre, tous les matériaux qu’ils pouvaient trouver autour d’eux.
Pour obtenir un style shaker, il faut donc privilégier les matériaux naturels et durables. Ce sont eux qui donneront cette sensation de chaleur sobre, loin du plastique ou des finitions brillantes.

Architecte : Halleroed – Projet : Boutique L/UNIFORM, Paris 7 – Photos : Ludovic Balay

Architecte : Hendricks Churchil – Projet : The New Farmhouse, Sharon, CT- Photo : John Gruen
Économie des formes et absence d’ornementation
Ce style pousse le minimalisme à son expression la plus sincère. Il n’y a pas d’arrière-pensée esthétisante. Simplement, rien n’est superflu : chaque ligne, chaque angle, chaque détail doit répondre à une fonction. Les meubles et les objets sont pensés avec une grande rigueur, sans recherche de décoration gratuite. L’esthétique naît de la structure elle-même, de l’harmonie des proportions, du soin apporté à l’assemblage.
Cette sobriété formelle n’a rien d’austère. Elle offre au contraire un sentiment de calme, et met en valeur la beauté naturelle des matériaux. Si vous voulez obtenir cette atmosphère apaisée, cela se traduirait par le choix de meubles les plus épurés possibles en bois, de rangement intégré et d’une quasi absence de motifs.

Exposition Furnishing Utopia au village shaker d’Hancock – Photo : Charlie Schuck

Palette de couleurs shaker – DeVol Kitchen Paint Colors

Design intérieur : Studio Roslyn, Vancouver, BC – Projet : Whistle Buoy Brewing – Photo : Christian Tisdale

La ferme de 1906 dans le Minnesota d’Emma O’Connor – Photo : @emmaelizabethoconnor
Palette de couleurs réduites et sobres
La vie dans ces communautés était austère. Ils privilégiaient des couleurs sobres comme le blanc cassé, les gris doux, mais ce camaïeu neutre est idéal pour capter la lumière naturelle et créer des ambiances enveloppantes. On trouve également le noir et le marron. Cependant, cette palette loin d’être aussi contrainte qu’on le pense pouvait laisser place à quelques aplats de couleurs plus vives, cependant toujours éteintes, comme un rouge rouille ou un jaune ocre.
Dans un intérieur moderne, la piste est de laisser des revêtements en bois naturel ou teinté et de les associer avec des aplats de couleur.

Design intérieur : Rose Uniacke, Londres – Projet : Mayfair apartment

Galerie Mjölk, Toronto – Exposition d’objets Shaker, février 2017
L’usage avant tout
Dans notre société de consommation où tout va vite, le mode de vie shaker nous invite à repenser notre rapport aux objets et donc au temps. Les Shakers étaient toujours occupés à des tâches réglées en fonction de leur place dans la communauté. Chaque objet, chaque meuble, chaque espace, répondait à une fonction, un besoin, un usage.
Aujourd’hui, cela voudrait dire privilégier des meubles bien pensés, uniquement présents dans notre intérieur pour répondre à une fonction. Exit le meuble décoratif. Cette approche, à première vue austère, facilite la vie quotidienne sans chercher à attirer l’attention. Ranger, plier, suspendre, aligner, devient facile et ne demande pas de réflexion. L’ordre devient une forme d’attention au lieu.

Design Raf Simons pour Kvadrat – Collection Shaker System

Intérieur design : Retrouvius, Londres – Projet : Country Home in the City, Londres – Photo : Tom Fallon

Architecte : Ste Marie – Projet : Flourist Bakery, Vancouver – Photo : Conrad Brown et stylisme : Kate Richard
Un intérieur organisé et ordonné
Au-delà de la fonctionnalité, le style shaker valorise une organisation rigoureuse de l’espace. Chaque chose a une place, ce qui réduit le désordre visuel et crée un environnement harmonieux. Il ne s’agit pas seulement de ranger ou de nettoyer, mais de créer un environnement organisé où les objets peuvent se déplacer, mais jamais encombrer l’espace. Rien ne traîne.
Cet ordre, loin d’être contraignant, offre une forme de liberté intérieure et un sentiment de calme, essentiel pour un intérieur où il fait bon vivre.

Catalogue Pinch studio, Londres
Le fait main et l’artisanat
L’héritage shaker repose sur une culture du travail bien fait Chaque meuble, chaque objet était réalisé à la main avec l’intention de servir et non pas de plaire. Cette philosophie artisanale invite à sortir d’une consommation rapide et standardisée pour revenir à des objets porteurs de sens et de savoir-faire.
Si l’on s’intéresse à cette approche, cela invite à nous tourner vers des marques qui défendent la fabrication de meubles de manière quasi artisanale en petites quantités. Ils sont certes plus chers, mais plus durables. Il existe aussi des tutoriels pour fabriquer des meubles de style shaker, en anglais.

Objets en bois réalisés par Sophie Sellu @grainandknot – Exposition éphémère

Canterbury Shaker Village – Photo : Erin Little pour Remodelista

Pleasant Hill, Shaker Village, near Harrodsburg, Kentucky

Architecte : Ambrosi Etchegaray – Projet : Hôtel Círculo Mexicano, Mexique – Photo : Sergio López
La lumière naturelle
Dans un intérieur inspiré du style shaker, la lumière naturelle est primordiale. On l’accueille avec simplicité : des fenêtres sans rideaux, des voilages légers, des murs aux teintes claires qui diffusent la lumière tout au long de la journée. Un intérieur qui vit au rythme du soleil, c’est aussi une manière de se reconnecter à l’essentiel.
Le soir, ce sont les bougies qui créent des points lumineux. Dans la version moderne, on opte pour des éclairages indirects à la lumière mesurée et chaude comme celle de la flamme.

Architecte : Austin Maynard Architects – Projet : Terracotta House, Melbourne – Photo : Derek Swalwell

Architecte : Hendricks Churchil – Projet : The New Farmhouse, Sharon, CT- Photo : John Gruen
Des espaces vides qui respirent
Les intérieurs shakers n’étaient pas forcément tous grands, mais ils laissaient place au vide.
En effet, dans l’esprit Shaker, le vide a une fonction. Il n’est jamais synonyme de manque, mais de respiration. Chaque meuble, chaque objet est donc entouré d’espace pour pouvoir exister pleinement. Cette vision de l’espace et de la place des objets dans cet espace, nous invite à structurer visuellement une pièce, en évitant la surcharge. Créer des zones dégagées offre une sensation de calme immédiat.

Hôtel Le Barn à Rambouillet, tourné vers la nature et l’agriculture lente
Des articles qui m’ont inspiré
- – Héritage shaker sur goodmoods.com
- – Le site du projet design Furnishing Utopia
- – 8 Ideas to Borrow from the Shaker-Inspired Commerce Inn in NYC sur remodelista.com
- – In the Dwelling House: 16 Design Ideas to Steal from the Shakers sur remodelista.com
- – Ten functional Shaker-style interiors with a focus on craftsmanship sur dezeen.com
- – Shakers, la secte américaine qui a inventé le design minimaliste sur ideat.fr
Sur Pinterest – Le style shaker


Pas de commentaires